Mia Hansen-Løve, la boucle est bouclée

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À tout juste 30 ans, Mia Hansen-Løve en est déjà à son troisième long métrage, Un amour de jeunesse. Ce film lui permet de revenir sur ses thèmes de prédilection et de clore un cycle qu’elle a entamé en 2007 avec son premier film Tout est pardonné.
Avec ce troisième long métrage, on a le sentiment qu’un cycle se clôt, vous parliez vous-même d’une trilogie possible. Ce dernier film apporte-t-il quelques clés à la lecture de vos deux premiers longs métrages, Tout est pardonné et Le Père de mes enfants

Oui, au fur et à mesure que je l’écrivais, il m’apparaissait de plus en plus évident que les trois films formaient un tout assez cohérent. Et au fond, ce film-là existait déjà. Je le portais en moi depuis longtemps. C’est même le premier film que je souhaitais réaliser, mais que j’ai réalisé plus tard. En même temps, je n’aurais pas pu le faire en premier par manque de maturité, je n’avais pas le recul nécessaire. Il clôt ce que j’ai commencé avec les deux films précédents, mais il revient aussi en arrière. J’ai l’impression que la boucle est bouclée.
Au sens esthétique aussi d’ailleurs : ce n’est pas anodin pour moi de finir le film avec un plan sur la rivière. C’est drôle, car je crois que le premier plan de Tout est pardonné est une rivière du Danube à Vienne, et cette fois le dernier plan est sur la Loire.

Justement il y a des enchaînements troublants, des choses qu’on retrouve : cette montée vers la maison à la fin, le courrier. Aviez-vous en tête ces plans-là ou sont-ce des idées sur lesquelles vous retombez spontanément ?
J’ai particulièrement pris conscience de cela pour ce qui est de la fin du film avec le retour à la campagne. On peut effectivement établir un parallèle avec mon premier film, ça m’a troublé mais ce n’était pas volontaire. En même temps, cette fin s’est vraiment imposée à moi. Le film devait se terminer de cette façon-là, alors je me suis dit qu’il fallait que je l’accepte, que ça avait un sens. Mais cette fin n’a pas la même signification que celle de Tout est pardonné, c’est la source cachée du premier. Du coup, il y a des échos d’un film à l’autre, entre le premier et le dernier et aussi entre le deuxième et le troisième. C’est naturel car le mouvement du film va dans le sens d’une ouverture au monde. Cela vient surtout du travail réalisé autour du Père de mes enfants, qui m’a confronté à des questions plus contemporaines, ce qui a été très précieux pour moi et m’a beaucoup appris. Ce mouvement d’ouverture au monde progressif ne serait sans doute pas le même si j’avais réalisé Un amour de jeunesse en premier, il résulte du travail de mon précédent film.

Il y a d’autres points communs, la disparition du père dans les deux premiers, là celle plus lente de l’amoureux. Dans les trois films, il y a cette nécessité de reconstruire une vie dans l’après…
Oui c’est vrai, même si dans Tout est pardonné le père meurt à la toute fin, la question de la reconstruction, de la survie, intervient lorsqu’on voit comment la jeune fille porte en elle cette blessure. Celle-ci ne l’a pas handicapée, mais elle l’a grandie. Il y a aussi cette idée dans le film qu’au fond c’est indirectement grâce à cet abandon, à cette disparition, qu’elle devient ce qu’elle devient, qu’elle s’épanouit de manière artistique. C’est l’horizon du film plutôt caché dans les deux premiers films, et plus explicite dans celui-ci : surmonter une souffrance, un vide, un deuil, grâce à l’épanouissement artistique ou par le travail.

Il y a une disparition qui reste assez énigmatique, c’est la disparition du bébé au moment de la fausse couche. Quelle place accordez-vous à cet événement dans votre récit ?
Disons que vers la fin du film se pose de plus en plus la question de la maternité car c’est une question qui se pose à la plupart des femmes à cet âge-là. Cette question revient plus tard quand elle voit le dessin offert par Sullivan [le personnage du jeune homme dans le film, ndlr], et aussi à la toute fin quand elle va à la plage et voit des enfants jouer sur l’autre rive. Pour moi, tout cela a du sens. Ce n’est pas anodin que le film ne se termine pas sur la promesse de l’enfantement, mais sur cette idée de solitude. D’ailleurs, la pratique artistique passe par quelque chose qui est en contradiction avec la reproduction de la vie, pas éternellement, mais il y a une forme de violence dans la pratique artistique, une forme d’opposition à la conception d’un enfant, surtout à ce moment-là de son parcours. Mais je voulais aussi montrer l’extrême violence qu’a l’écho des retrouvailles sur elle, le contraste entre le fait que ça ne laisse aucune trace en apparence : il n’y a pas de dispute, pas de violence, pas de larmes ni de cris. Je voulais montrer l’effet très violent que peuvent avoir certaines choses sur notre inconscient. Camille aime Sullivan, elle a envie d’être bien avec lui, mais cette relation ne peut lui apporter que de la souffrance. Il y a cette idée que parfois des gens se font du mal malgré eux, sans le vouloir, c’est vraiment l’idée du destin, ils sont faits pour se rendre heureux et aussi se faire souffrir.

Chez Sullivan il y a forcément de l’indécision et de l’hésitation. Malgré tout, il prend souvent les décisions pour les deux personnages. On sent cette hésitation jusque dans son jeu. Lui avez-vous donné des consignes pour qu’il soit ainsi en décalage ?
Cela vient sûrement d’un trouble dû à son accent, mais ce n’est pas quelque chose que je ressens. Je trouve qu’il a un jeu extrêmement simple, il n’est jamais dans la pose ou en train de vouloir montrer ses intentions. Il y a quelque chose d’extrêmement simple dans son jeu et dans sa diction, il a un accent très léger, presque impalpable, qui peut troubler. Cela donne une musique différente, mais je ne l’ai pas dirigé dans ce sens, je n’ai pas cherché à rectifier son accent. Ça participait de son charme. Pour moi, ça lui donne une vulnérabilité et une singularité. Ce qui me touche chez lui c’est que contrairement à beaucoup d’acteurs français, il n’est pas dans une pose de virilité, ce que je trouve assez conventionnel. Je suis plus attirée par des acteurs qui sont juste eux-mêmes. Il y a quelque chose de vraiment authentique chez lui que je trouve assez rare et précieux et je le trouve très gracieux dans sa manière de bouger, il a quelque de léger en lui. Mais j’ai l’impression qu’il surprend beaucoup, parfois déconcerte, parfois dérange, parce qu’à mon sens il ne ressemble vraiment pas à ce qu’on voit en général chez les acteurs masculins. Il a quelque chose de presque féminin, une voix un peu aigüe, ce qui crée un contraste avec son physique très brun presque trapu. C’est un tout qui fait que ça trouble le spectateur.

Camille se définit elle-même comme une mélancolique. Ce n’est pas un hasard si elle se tourne vers l’architecture qui est une manière d’appréhender à la fois l’espace et la réalité. On ne peut pas s’empêcher de voir une métaphore du cinéma dans cette manière d’opter pour cet art, et cet échange assez magique sur la question de la lueur. Entre autres thématiques plus classique sur la vie et la mort, une autre thématique plus forte est abordée : la mémoire.
C’était une manière assez passionnante pour moi d’aborder des thèmes qui sont les miens depuis que j’ai fait mon premier film, comme la lumière, la mémoire, l’enfance, se réconcilier avec soi même, le rapport au réel, être à la fois dans des questions abstraites et en même temps confronté à des choses très concrètes. Mais dans ce film j’ai pu aborder ces thèmes en m’enrichissant. Si j’avais fait de l’héroïne une cinéaste je n’aurais parlé que de ce que je connais et ça ne m’intéressait plus d’aborder des choses parentes au cinéma. Je pense que dans l’architecture il y a vraiment des thématiques en rapport avec le cinéma, notamment la question de la mémoire, de l’espace et du temps. C’est ce qui m’a en même temps permis d’aller sur un terrain complètement vierge. J’ai un ami architecte, j’ai écrit toutes les scènes qui concernent l’architecture avec lui, il me les a fait retravailler, il m’a appris énormément, ce qui m’a beaucoup enrichi. Par ailleurs, ce qui me reliait le plus fortement à l’architecture est le fait que mon écriture fonctionne beaucoup sur les décors. Ils sont souvent autant des moteurs dramatiques que les relations entre les personnages, ce sont même presque des personnages à part entière. C’est souvent grâce à eux que j’avance dans l’écriture d’un scénario. Du coup, ayant un rapport fort au décor, j’avais l’impression que le fait que l’héroïne devienne architecte démultipliait pour moi les possibilités à ce niveau-là.

Par Emmanuel Abela et Louise Laclautre / Photo : Pascal Bastien


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