La Résistance a été l’occasion de bien des réalisations au cinéma, mais peut-être n’a-t-elle jamais été montrée avec l’intimité de Nos Résistances de Romain Cogitore. Rencontre avec le jeune réalisateur alsacien et son acteur principal, François Civil. |
Dans ce long-métrage, la Résistance n’est pas présentée comme héroïque, on sent une réelle volonté de présenter la réalité historique. À partir de quel moment, vous êtes-vous décidé à traiter la Résistance sous cet angle-là ?
Romain Cogitore : Au départ, il s’agissait d’une tentative de documentaire. À l’amorce du projet, j’ai interrogé plusieurs personnes, notamment mon grand-père. Par la suite, j’ai trouvé que de prendre l’axe de la jeunesse était le moyen le plus intéressant pour traiter le sujet de la Résistance. Grâce à mes recherches et les éléments qui m’ont été rapportés, j’ai pu faire de la fiction à partir de bribes du réel.
Bien au-delà des repères que nous avions, vous dévoilez une autre forme de réalité, y compris avec ses zones d’ombres. Ne craignez-vous pas de soulever une polémique ?
R.C. : Le film est en grande partie composé de choses réelles, le Maquis n’y est pas dénigré ! Les anciens qui voient le film peuvent y trouver la reconnaissance de leur grande humanité.
Paradoxalement, le film n’a pas pour vocation de restituer une vérité historique pure. On y découvre des anachronismes de langage assumés. Il s’agit donc principalement de restituer la réalité des situations vécues.
François Civil : Je crois que c’est un parti pris dès le départ. Dans la direction d’acteurs, Romain nous a demandé de ne pas jouer l’Histoire, mais effectivement de nous concentrer sur les situations.
Romain, dans le film, vous évoquez votre grand-père sans forcément lui rendre hommage. Les discussions avec lui sont-elles à l’origine de votre envie de réaliser un long métrage sur la période de la Seconde Guerre Mondiale ?
R.C. : J’ai grandi dans l’univers de la Résistance mythifiée. Si les histoires de mon grand-père étaient souvent relatées de manière adaptée pour l’enfant de 12 ans que j’étais, cela a quand même contribué à alimenter un univers assez fort.
Comment s’est porté le choix sur François pour incarner le personnage principal ?
R.C. : Ma directrice de casting m’a conseillé de rencontrer François malgré mes réticences. Lors de ses premiers essais, François était assez mal à l’aise, mais nous l’avons recontacté pour des essais de groupes au cours desquels il m’a vraiment convaincu.
F.C. : C’est vrai que j’ai même été malade lors de mes premiers essais, mon stress habituel a été décuplé, mais j’avais une telle envie de décrocher le rôle…
À la lecture du scénario de Romain, quelles ont été vos premières impressions ?
F.C. : J’ai tout de suite adoré et je tenais à participer à ce film. Romain a d’ailleurs été récompensé pour ce scénario bien mené, rythmé, très émouvant à sa simple lecture.
Est-ce perturbant de porter le prénom de son personnage ?
F.C. : Pas particulièrement dans le cas présent puisque je ne porte mon prénom qu’au début et à la toute fin du film. À ce propos, durant tout le tournage, nous ne nous appelions que par les pseudonymes de nos personnages, si bien que certains prénoms me restent inconnus. Aujourd’hui, cette habitude est restée quand nous nous passons des coups de téléphone ! « Allo, “Poux”, comment vas-tu ? », « Et toi, “Racine” ?” [rires]
François / Racine, justement, le personnage que vous incarnez, donne l’impression qu’il n’y a pas de rédemption possible notamment lors de la scène finale, et pourtant, on ne décèle chez lui aucun désespoir : il continue d’exprimer malgré tout un désir de vie absolu.
F.C. : Son désir premier, il l’exprime à travers l’histoire d’amour qu’il vit avec la jeune fille qu’il a laissée au village. Par la suite, il est martelé par pleins d’événements qui vont le cabosser et le rendre presque animal jusqu’à la fin. Mais il redécouvre son désir premier après tout ce qu’il a vécu.
R.C. : Certains penseront, comme François, que le personnage devient de plus en plus bestial là où d’autres verront quelqu’un qui retrouve justement sa part d’humanité. J’apprécie ces deux compréhensions, j’aime cette double lecture.
En tant qu’acteur, Romain a-t-il révélé chez vous des choses que vous ne soupçonniez pas de vous-même ?
F.C. : L’évolution du personnage est telle que ce rôle m’a offert la possibilité d’élargir la palette des émotions que j’avais déjà pu travailler sur d’autres films. Dans Nos Résistances, il y a des scènes tellement extrêmes – la scène d’opération, la scène finale – que d’essayer de les vivre et pas uniquement de les jouer techniquement a été une chance incroyable pour moi. C’était un réel plaisir de jouer ce rôle-là.
Concernant la musique du film, anachronique elle aussi, comment s’est fait son choix ?
R.C. : Il y a eu beaucoup d’allers et retours concernant la réflexion du choix de la musique. J’ai d’ailleurs pensé à faire du scratch sur le discours de De Gaulle… [rires] Finalement, nous étions trop loin des personnages et de leur intimité, il fallait quelque chose de plus classique. Nous nous sommes laissés porter par le film, mais le hip-hop semblait tout de même nécessaire.
On nous rappelle aujourd’hui qu’il est bon de nous indigner. Le titre du film sonne comme une exhortation à des résistances plus actuelles.
R.C. : Même si je ne m’oppose pas à une telle lecture du titre, il ne faut pas y voir de réelle volonté politique. Pour moi, le mot résistance joue plus sur la question de l’intime mêlé au mythe historique, sur la base de questions aussi simples que : où commence et où s’arrête l’humanité ? À quel moment plonge-t-on dans une forme de bestialité ou d’animalité ? Je cherche à naviguer dans ces questions-là, qui ont des connotations psychologiques, sociales, et naturellement historiques. La question est : finalement, à quoi résistons-nous ?
Par Emmanuel Abela et Sophie Ruch / Photos : Pascal Bastien
Article paru dans Novo #12
Chronique cinéma de Nos Résistances sur le site de Flux4
« Une vérité humaine » Romain Cogitore