Andrew Bird, l'Apocalypse en question

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"'till gravity feels sorry for you and lets you go" 

On se désolera longtemps du fait qu’Andrew Bird ne maîtrise pas l’œuvre des Byrds. mais rien ne nous empêchera de continuer à avoir une affection particulière pour ce songwriter hors-norme et multi-instrumentiste de génie. Rencontre avec un homme à la timidité désarmante qui s’interroge avec un brin de gravité sur le destin d’une humanité au bord du gouffre.

Dans votre dernier album. les guitares prédominent. Vos folk-songs se font plus électriques. comment expliquez-vous cette évolution ?

Vous savez. je ne rentre pas en studio avec un plan de bataille. je ne me dis pas « je vais faire un album plus bruyant. ou plus électrique ». Pour dire vrai. j'imaginais même plutôt m'orienter vers un son plus acoustique. mais il y avait sur place. dans le studio. une magnifique guitare Jaguar qui avait un son incroyable. Et me voilà pour la première fois à enregistrer des titres où je joue de la guitare et je chante en même temps. C'est par là que tout le monde commence d'habitude. mais moi j'ai commencé par le violon. et ça fait seulement quelques années que je pratique la guitare. Comme ma maîtrise n'est pas parfaite. jouer de la guitare me force à la simplicité. 

flux4-andrew-bird.jpgSur Armchair Apocrypha. vous utilisez beaucoup les boucles.

On le fait de manière de plus en plus sophistiquée avec mon nouveau batteur. Martin Dosh. J'ai deux échantillonneurs sur lesquels je peux sampler entre six et sept couches de violon. L'un des samplers est dédié aux pizzicati. pour l'intégrité de la rythmique. Tout le monde doit s'ajuster sur mes boucles. ce qui est un challenge. surtout pour la batterie. J'envoie une boucle à Martin Dosh. qui a son propre mixer et ses propres pédales. trois en tout. Il se cale sur l’un des signaux pour la batterie. et il me le renvoie. On n'arrête pas de créer des effets. c'est très amusant. On vient d'ajouter un micro dans lequel je peux taper des mains par exemple. et le son rentre dans ses boucles.

Cette collaboration avec Martin Dosh vous a-t-elle permis de confirmer certaines de vos idées musicales ?

Vous savez. je crois que j'aurais pu faire un autre album solo. Mais je pense que Martin me comprend. il est tout aussi réservé que moi. Jouer de la musique suffit à mon bonheur. C'est-ce que j'ai fait ces dernières années et j'aurais pu continuer. dans une totale maîtrise de mon univers. Mais j'ai besoin d'un batteur. Je ne joue pas de cet instrument. et même si je m'évertue à faire sonner mon violon le plus possible comme une percussion. ça ne remplace pas la batterie au moment d'enregistrer un album.

Vous avez dit que sur votre précédent album. The Mysterious Production of Eggs. vous n'étiez pas satisfait de la manière dont sonnait votre voix…

J'ai réécouté Eggs récemment. ça faisait longtemps que je ne m'étais pas réentendu. J'écoutais Tables and Chairs. et je me disais en moi-même «Oh si tu es si fatigué d’être aussi distant. pourquoi chantes-tu de manière si mesurée ? » Quand j'enregistre un album. je chante sous un casque. et ma voix est comme happée à l'intérieur de moi. En concert. c'est tout le contraire : il faut projeter sa voix pour que tout le monde entende. Et je préfère nettement ma voix projetée. en concert. Je trouve difficile de jouer sans public au moment d'enregistrer en studio. mais je fais de mon mieux pour me rapprocher de cette voix-là.

Votre dernier album s'intitule Armchair Apocrypha. avec un titre très énigmatique. On y sent une angoisse face à la société actuelle. pouvez-vous nous dire ce qui vous semble apocryphe ?

Voilà une question qui nous entraîne loin… J'avais le mot Apocrypha en tête. c'est un mot que j'adore et qui me fascine. Et puis l'idée de l'Apocalypse tend à m'obséder. l'Apocalypse. sans connotation négative. comme une opportunité de tout redémarrer à zéro. Alors je m’interroge sur ce que nous ferions si notre monde s'écroulait.

Pour Armchair. l'idée vient du fait que nous sommes tous confortablement installés. avec de la nourriture et de l'eau à profusion. en rêvant de repartir de zéro. tout en sachant que ce serait certainement terrible. Mais on peut aussi interpréter le titre d'une autre façon. Par exemple pour The Mysterious Production of Eggs. le titre faisait allusion au mystère de l'inspiration. Le terme Apocrypha signifie que la chose est d'origine douteuse. D'un côté il y a toutes ces idées qui tournent dans ma tête de manière complètement incontrôlée. qui correspondent à de l'inspiration à l'état pur. une chose merveilleuse en soi que j’aborde dans l’album précédent. et de l'autre côté. le titre Armchair Apocrypha qui rappelle que je doute de tout cela. Je doute de l’origine de l'inspiration. je me méfie des idées...

On sent une grande désillusion dans l'album. mais aussi beaucoup d'espoir…

Oh oui absolument. il y a du grab hold of your bootstraps and pull like hell till gravity feels sorry for you and lets you go* là dedans. Je m'y adresse à moi-même en fait. Parfois j'ai des idées si sombres que je me dis : « Reprends-toi. ça va aller. ça ne dépend que de toi. » Le remède est à l'intérieur de soi. vous savez. Les nouveaux titres sur lesquels je travaille en ce moment sont plus optimistes. mais tout n'est jamais si évident. tout n'est jamais ni noir ni blanc.

Aura-t-on la chance d'entendre des titres inédits ce soir ?

Je vais certainement chanter un nouveau titre. Nous avons aussi travaillé des chansons plus anciennes. ça fait si longtemps qu'elle n'ont pas été jouées. c'est un plaisir de les faire redécouvrir. elles regagnent une nouveauté.

Sur scène. vous dégagez un plaisir communicatif. même un certain sens de l'humour…

Ce n'est pas prémédité. Vous savez c'est si absurde ce sentiment d'être perché sur scène et de regarder le public en contrebas. Malgré cela. je me sens étonnamment à l'aise sur scène.

La manière dont vous sifflez sur scène nous renvoie à un sentiment d'innocence. d'enfance…

C'est l'instrument le plus honnête dont je dispose. Je siffle même quand je ne pense pas à produire de la musique. Siffler c'est la chose qui s'échappe sans contrôle quand on fait la vaisselle. où n'importe quelle tâche pendant laquelle on ne pense à rien. C'est d'une simplicité absolue.

Pour finir. vous devez être au courant que Norman Mailer vient de mourir. il était la conscience d'une Amérique inquiète. que vous inspire cette disparition ?


Je dois vous avouer que je ne maîtrise pas toute son œuvre. mais de ce que je connais. il incarnait une position subversive qu'il a tenue pendant toute sa vie. une fuck you approach*. un côté sans peur et sans reproche.

Propos recueillis par Emmanuel Abela
Traduction : Miss Alpha
Photographie : Sébastien Ruffet

Dernier album : Armchair Apocrypha. Fargo
Dernier single : Soldier On. Fargo 


* MA refuse de traduire les astérisques pour l'amour de la VO Birdienne