Rencontre avec Ramon Zürcher, Entrevues 2024
Ramon Zürcher : Une Trilogie de l’Intime et du Quotidien Arrive à Maturité
Lors du festival Entrevues de Belfort, le cinéaste suisse Ramon Zürcher a présenté Le Moineau dans la cheminée, dernier volet de sa trilogie "animalière". Après L’étrange petit chat (2013) et La jeune fille et l’araignée (2021), ce troisième film poursuit son exploration des microcosmes familiaux tout en surprenant par une rupture narrative et formelle marquée.
Une Trilogie Liée et Contrastée
Zürcher décrit ses trois films comme des variations musicales : une musique de chambre pour le premier, une ballade mélancolique pour le second, et un opéra explosif pour le dernier. Le Moineau dans la cheminée se distingue par une montée en intensité émotionnelle et narrative. Contrairement à ses prédécesseurs, souvent statiques et contemplatifs, ce film incorpore une violence physique et psychologique, tout en maintenant l’attention portée à l’intimité familiale et aux détails du quotidien.
Une Maison Comme Personnage Central
Le film se déroule presque entièrement dans une maison ancienne, devenue un personnage à part entière. Zürcher la filme de manière à renouveler constamment notre perception de ses espaces, évoquant une désorientation comparable à celle ressentie dans les maisons des films d’Ozu. Cette maison est à la fois un refuge et une prison, un lieu chargé de mémoire familiale, où chaque pièce reflète une dimension émotionnelle différente : interactions sociales dans la cuisine, moments intimes dans les chambres, et observations furtives derrière des portes entrouvertes.
Une Chorégraphie du Corps et du Regard
Dans cet espace restreint, Zürcher met en scène une véritable chorégraphie des corps. Les personnages entrent et sortent du champ avec une fluidité presque musicale, malgré les contraintes imposées par le cadre. Ce travail minutieux sur les positions et les mouvements des acteurs reflète une volonté de trouver un équilibre entre précision formelle et naturel dans le jeu.
De plus, la maison devient un espace d’observation : des personnages écoutent ou observent discrètement, créant une tension dramatique où les non-dits prennent une importance cruciale.
Une Violence Émotionnelle et Sonore
Le film se distingue également par une utilisation saisissante du son. Bruits de portes qui claquent, alarmes d’électroménagers et autres sons du quotidien perturbent les personnages, amplifiant leur mal-être. Ces éléments renforcent une ambiance de film d’horreur subtil, où la maison elle-même semble vivante, hantée par des souvenirs ou des figures comme une grand-mère décédée.
Des Personnages Complexes et Une Mère Centrale
Fidèle à son style, Zürcher place souvent la mère au centre de ses récits. Dans ce film, comme dans L’étrange petit chat, la mère devient le pivot autour duquel gravitent les autres membres de la famille. Ce choix reflète une exploration des relations intergénérationnelles et des dynamiques familiales.
Un Accueil Contrasté
Les réactions des spectateurs sont variées. Certains sont séduits par l’intensité émotionnelle et la richesse formelle du film, tandis que d’autres sont déroutés, voire choqués, par sa violence inattendue. Zürcher souligne que ce contraste reflète son intention de créer un univers ambigu, mêlant légèreté et gravité, pour mieux capter la complexité du réel.
Vers De Nouveaux Horizons
Avec Le Moineau dans la cheminée, la trilogie animalière de Ramon Zürcher s’achève. Le réalisateur travaille déjà sur de nouveaux projets : un thriller psychologique érotique écrit par son frère Sylvain Zürcher, et un film d’amour sur des adolescents créant une utopie en marge de la société.
Zürcher démontre une fois de plus qu’il est une voix singulière du cinéma contemporain, capable de transformer les détails du quotidien en œuvres profondément émotionnelles et visuellement captivantes.
Journaliste : Caroline Chatelet, Nicolas Bézard et Öykü Sofuoğlu
Réalisation & Photo : Olivier Legras