Cyclocosmia


De son propre aveu, Eric Watson s’est installé à Paris en 1978 à la suite d’« un caprice de jeunesse. » Mais s’il y réside depuis lors, c’est pour d’autres raisons : « Je n’avais pas envie de subir le sort des musiciens de jazz à New York : je ne voulais pas jouer là où les gens dînaient, ni dîner là où les gens jouaient. J’ai décidé de rester parce que j’ai très vite été attiré par la qualité de vie à la française, appréciable, louable », nous dit-il dans un français qui en dit long sur son attachement à notre pays. « J’étais également impressionné par l’investissement européen dans la culture, les lieux de diffusion de la musique, les clubs, les festivals, les radios… » Il s’amuse du fait qu’aux Etats-Unis on le prenne pour un Français – « Ils me félicitent pour la qualité de ma prononciation ! » –, mais refuse de passer pour l’homme de l’entre-deux, sous prétexte qu’il se partage entre composition et improvisation, entre la musique classique qui l’a nourri et le jazz. « Ma musique ressemble plus à une bouteille de vin bien vinifiée, un vin fidèle à la terre dont il est issu. Au fil des années j’aime considérer l’idée que j’ai développé une approche organique qui se nourrit de la constellation des monomanies qui m’ont touché : Glenn Gould, Pierre Boulez, Cecil Taylor, John Coltrane, Jimi Hendrix. C’est l’intensité de ces “individus” qui m’a conforté dans l’élaboration d’un langage musical personnel, y compris avec une certaine intransigeance. »

Il se dit impressionné par les groupes soudés, comme le quartet de John Coltrane ou le quintet de Miles Davis, et a favorisé des « collaborations de longue durée avec Ed Thigpen ou Steve Lacy, ou encore avec John Lindberg, le bassiste d’Anthony Braxton… » Ce pianiste émérite affectionne les formations réduites, duo, trio ou quartet, « sinon c’est la foule ! Ce qui me passionne le plus dans le jazz ce ne sont pas les notes, c’est la relation entre les musiciens ! L’art d’être ensemble, en parfaite complicité. » C’est également pour lui, une forme de partage qui permet la réactivité et l’écoute de l’autre. « Oui, une forme de générosité », confirme-t-il. Parmi les musiciens avec lesquels il a établi une relation durable, on trouve le saxophoniste ténor Christof Lauer, l’une des grandes figures du free-jazz allemand, avec lequel il a beaucoup joué depuis les années 80 et enregistré l’envoûtant Road Movies sous la forme d’un quartet en 2004. « Oui, notre relation s’est décantée dans le temps, avant qu’on ne lui découvre une nature fusionnelle. Pour nourrir cette fusion, il faut forcément s’aventurer sur d’autres terrains, d’où cette approche intimiste du duo. J’ai écrit ce répertoire pour créer une intimité qui nous rapproche de celle de la musique de chambre. »

Par Emmanuel Abela / Photo : Christophe Urbain

Article paru dans Zut ! #3 (automne 2009)

Le 16 octobre, à Pôle Sud – 1, rue de Bourgogne
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