Nouvelle Erre

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La seconde grande exposition du Centre Pompidou-Metz porte sur la thématique du labyrinthe et ses déclinaisons intellectuelles et plastiques : histoire de la pensée et histoire de l’art se fondent pour offrir au spectateur une expérience mémorable.

Autant le dire sans détours : nous avions vécu avec beaucoup de frustration l’exposition Chefs d’œuvre ?, un accrochage inaugural au Centre Pompidou-Metz censé fixer la ligne éditoriale du nouveau musée et qui faisait cohabiter avec une cohérence tout à fait relative des œuvres majeures et d’autres plus anecdotiques d’un XXe siècle rendu nébuleux. On connaissait les enjeux : poser quelque chose à l’égard du public, avec des points de repère identifiables, puisés dans les collections pourtant déjà connues du Centre Pompidou, à Paris. Mais la démarche nous semblait vaine, et nos complexes provinciaux ressurgissaient avec une amertume redoublée. Dès lors, nous ravalions notre rancœur et fixions un nouveau rendez-vous : l’espace existait, et il était en capacité de recevoir de belles propositions.

À découvrir la deuxième exposition thématique, Erre, Variations Labyrinthiques, notre attente légitime est récompensée au-delà de nos espérances. Quel brio, quel génie dans la conception d’une des plus belles expositions qu’il nous ait été donné de voir ! L’émotion nous saisit d’emblée : un Marcel Duchamp de 1914, Network of Stoppages dans un espace introductif, comme si cette œuvre portait à elle seule la thématique toute entière. On a beau connaître – ou chercher humblement à connaître Marcel Duchamp –, on reste saisi. Cette œuvre fixe les orientations du XXe siècle, pose le questionnement à venir, fixe le point de départ, la figuration éclatée, et donne la – ou les – direction(s) à venir. Elle pose surtout la vanité de l’acte créateur, et nous invite à une vraie humilité. Avec cette œuvre qui consiste à faire tomber d’un mètre de hauteur un fil droit d’un mètre de longueur sur un plan horizontal et le laisser se déformer à son gré, puis de consigner les lignes obtenues, Marcel Duchamp ouvre la voie au hasard. Œuvre maîtresse, œuvre centrale, Network of Stoppages donne les clés d’une œuvre magistrale, elle donne les clés d’un siècle – voire plus – de création artistique. Conservée au MoMA, à New York, sa présence-star justifie à elle seule la visite de l’exposition.

La thématique du labyrinthe semble largement rabâchée, et l’on pouvait se poser la question d’un nouveau traitement. Le choix du titre de l’exposition, Erre, nous renseigne sur les développements possibles. Dans le mythe du Minotaure, le labyrinthe enferme – autant qu’il protège – le monstre ; là, les commissaires, Hélène Guénin et Guillaume Désanges, ont éclaté l’espace mental du labyrinthe, libéré le monstre – celui qu’on cherche à “montrer” – et savamment construit leur raisonnement sur les questions de l’errance, de la perte et de la déambulation à travers une foultitude de pièces de toutes époques et des allers-retours plastiques entre un passé parfois lointain et aujourd’hui. Des dessins, peintures, sculptures, projets d’architecture, films, vidéos, envahissent l’immense espace des 2500 m2 du rez-de-chaussée et de la galerie 1 du Centre ; ils sont regroupés par thèmes dans le cadre d’un parcours qui n’a pas de vocation pédagogique, mais qui crée des instants repères, comme autant de déclinaisons thématiques intermédiaires, dont certaines se suffisent presque à elles-mêmes : “le labyrinthe architectural”, “l’espace-temps”, “le labyrinthe mental”, “Metropolis”, “des bouleversements cinétiques”, “captifs”, “initiation/édification”, “l’art comme labyrinthe”. Les grands noms sont présents, Vito Acconci, Carl Andre, Richard Long, Robert Smithson, Frank Stella, Art & Language, Constant, Kasimir Malevitch, Alexandre Rodtchenko, Robert Morris, Thomas Hirschhorn, Isidore Isou, Mike Kelley, Abbas Kiarostami, etc., mais tous se fondent dans cet ensemble cohérent, un peu comme si chacune des pièces, pourtant de formes et de provenances extrêmement diverses, avaient été spécialement commandées pour l’occasion. Là, un modèle de circonvolutions intestinales, à l’usage des devins de Babylone, une tablette qui date du IIe millénaire av. J.-C., ici les dessins de Mark Lombardi consultés par le FBI après le 11-Septembre, là encore une vidéo de Raphaël Zarka ou l’installation Paper / Midwestern Ocean de l’artiste italien Gianni Pettena, réalisée pour la troisième fois depuis 1971, et enfin un large ensemble de pièces cinétiques de Julio Le Parc. Dans ces espaces qui semblent se prolonger à l’infini, l’œil est sollicité, mais pas seulement : sans cesse titillé, parfois bouleversé, le spectateur vit une expérience sensorielle inouïe qui le renseigne sur des démarches artistiques exceptionnelles.

Par Emmanuel Abela
ERRE, VARIATIONS LABYRINTHIQUES, jusqu’au 5 mars 2012 au Centre Pompidou-Metz

www.centrepompidou-metz.fr

Crédit: Mas o Menos (Plus ou moins), 1964
Poudre métallique dans émulsion acrylique sur toile
300x400
Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, Paris
Achat, 1983, grâce à la participation de la Scala Fondation
AM 1983-95

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